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Tonight It’s A World We Bury, Black Metal, Red Politics

Bill Peel, Repeater Books, 2023

L’été dernier, alors que je sondais les rayons de Housmans, petite librairie londonienne bien connue des milieux radicaux (un indice pour vous, chez vous, quant à la teneur politique de la présente chronique…), je suis tombée sur un livre intitulé Tonight It’s A World We Bury, Black Metal, Red Politics de Bill Peel. Dans mon cerveau, j’enregistre « metal, rouge, noir », aussi je n’hésite pas une seconde et ajoute illico presto l’ouvrage à ma pile d’acquisition. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, Tonight It’s A World We Bury n’est pas un livre sur le Red Anarchist Black Metal (RABM). Il ne s’agit pas non plus, malgré ce qu’annonce la quatrième de couverture, d’une « réécriture de l’histoire et des politiques du Black Metal ». L’auteur propose plutôt d’investir le Black Metal comme source d’inspiration pour des pratiques militantes anticapitalistes. Peel s’engage ainsi dans un exercice de pensée où il met en lien, éclaire et réutilise certaines caractéristiques propres au Black Metal, à sa musique et à sa culture pour y puiser des idées à réinvestir dans les milieux politiques de gauche.



À rebours de l’image et des réalités qui associent fréquemment le Black Metal avec au mieux des positions apolitiques ou nihilistes, au pire d’extrême-droite, Bill Peel propose ici d’occuper le Black Metal comme un terrain d’inspiration pour une lutte de gauche, voire anarchiste. Car pour lui, malgré une réputation qui associe le style de musique à certaines figures réactionnaires et au Nationalist Socialist Black Metal (NSBM), la réalité des pratiques politiques dans le Black Metal se résumerait plutôt à deux tendances majoritaires.

La première tendance est marquée par ce qu’il nomme une « anti-réflexivité réflexive », une attitude caractérisée par le fait de savoir qu’il faudrait que je me penche sur un sujet… mais je décide de ne pas le faire C’est en somme une sorte de politique de l’autruche et de la dissonance cognitive. Peel donne plusieurs exemples de cette ignorance délibérée et sélective, quitte à se mélanger un peu les pinceaux au passage. Peel décrit ainsi comment le groupe australien Spear of Longinus a recours à de multiples références et visuels néo-nazis et fait partie du roster d’un label qui accueille de nombreux groupes de NSBM. Pourtant, officiellement, le groupe clame ne pas s’intéresser à la politique. La posture d’ignorance délibérée n’est pas valable de la même manière selon qu’elle est pratiquée par les amateur·ices d’un groupe ou par un groupe qui a recours à des signes et des pratiques politiques mais qui se revendique apolitique. On peut comprendre en quoi une posture d’« anti-réflexivité réflexive » de la part des fans de Spear of Longinus pourrait se concevoir (dans une tentative de séparer le nazi de l’artiste). En revanche, Peel parle également d’une « ignorance voulue » dans le cas du groupe Spear of Longinus lui-même : « dans ce cas-ci, les raisons pour une telle ignorance sont parfaitement évidentes : être révélé comme un groupe ouvertement nazi n’est pas désirable et mettrait en danger les collaborations et les profits futurs » (p.4). Or cette attitude du groupe n’a évidemment rien à voir avec une posture « d’ignorance voulue », il s’agit d’une technique de déni, de réorientation du discours et d’obfuscation qu’il convient de repérer et de déconstruire.

Nigh (Black Metal / Sludge, États-Unis) – Hegemonies

La deuxième tendance politique majoritairement présente pour Peel dans le monde du Black Metal est celle qui consiste à vouloir la destruction du monde. C’est cette idée qui est exprimée dans le titre du livre, extrait du morceau “Phosphene” de Deathspell Omega « Rejoice, for tonight it is a world that we bury! » (« Réjouissez-vous, car ce soir c’est un monde que nous enterrons !»). Peel propose de se saisir de cette tendance en partant du principe qu’elle n’est justement pas marquée politiquement : vouloir la destruction du monde, ou en tout d’un monde, peut être aussi bien de gauche que de droite ou du centre. Le Black Metal, note Peel, est un milieu qui a également tendance à haïr toute forme de discours politique. C’est pourquoi, paradoxalement, cette haine du monde contenue dans le Black Metal est disponible pour être dirigée dans n’importe quelle direction. Le Black Metal serait ainsi une « arme abstraite », intrinsèquement apolitique, qu’il suffirait de pointer dans la direction que l’on souhaite. La droite réactionnaire l’a fait, la gauche peut donc tout aussi bien s’en emparer : « Le Black Metal, et son hostilité incomparable envers le monde tel que nous le connaissons, fonctionne déjà comme une arme. Tout ce dont il a besoin est une cible claire telle que le capitalisme pour démontrer sa pleine puissance. ». Et Peel de préciser qu’il ne s’agit pas pour la gauche de se « réapproprier » le Black Metal pour la simple et bonne raison qu’il n’a jamais était de gauche pour commencer : il s’agit plutôt d’aller étudier les « résonances » (p.9) que le Black Metal peut avoir avec la gauche et le socialisme, de voir ce que la lutte des classes peut apporter au Black Metal et inversement.

On peut déjà voir pointer dans ce programme certains angles morts du texte de Peel. Tout d’abord, comparer le Black Metal à une « arme abstraite » dirigeable contre n’importe quelle cible revient à en faire une sorte d’outil intrinsèquement neutre. Or, tout comme pour la production des outils technologiques, ce type de discours fait abstraction des conditions de productions sociales et politiques de la musique. Ainsi, le Black Metal s’est construit et développé dans un certain contexte social et politique, à partir de et en réaction à certains styles musicaux, par le moyen de certains outils technologiques de production et de diffusion de la musique, en produisant certains visuels, en écrivant certaines paroles, en se diffusant dans certains publics, etc. Et puis ce qui définit le Black Metal même, ce rapport au monde par la haine et la destruction, a aussi une histoire et des implications sociales et politiques.

Contra OdiumCompilation par Satan Not Hating

Tout ceci n’empêche pas le Black Metal d’être approprié et investi dans d’autres contextes, par d’autres musicien·nes et ainsi d’avoir d’autres visées. Avec le développement de la scène antifasciste (RADM), le Black Metal est devenu un espace disputé par des groupes de mouvances politiques contrastées. Pour autant, lorsque Peel choisit de décrire le Black Metal comme une « arme » de destruction à pointer sur une cible, cela convoque un certain imaginaire militarisé, offensif, en adéquation avec une certaine culture de l’agression qui résonne avec le Black Metal, et qui peut colorer le contenu des propositions que contient l’ouvrage. Pour donner sommairement un exemple, il ne s’agit pas dans ce livre de proposer plus de douceur, de soin et de construction communautaire chaleureuse contre la violence et la déshumanisation du système de domination capitaliste. Revendiquer le Black Metal comme « arme » et comme un rapport de « haine » est donc politiquement situé et ceci mérite d’être explicité afin d’en saisir les atouts mais aussi les limites. Peel produit un discours qui prend en compte les effets du capitalisme d’un point de vue de la lutte économique ainsi qu’écologique, mais qui n’aborde finalement que très peu ses dimensions patriarcales et coloniales. Notons cependant qu’il prend le temps de souligner, à plusieurs reprises, des points de vue occidentalo-centrés et que plusieurs groupes qu’il mobilise de manière plus détaillée incluent des musiciennes et des artistes racisé·es. Peel propose de nombreuses références musicales, visuelles et historiques issues de la scène Black Metal. Certains aspects sont mentionnés, rapidement, d’autres restent en filigrane. Globalement, et c’est l’une des limites de cet ouvrage, Peel passe à côté d’un certain nombre d’occasions d’expliciter ou d’approfondir plus finement certaines dimensions des concepts et des exemples qu’il explore.

Que ces considérations ne viennent cependant pas gâcher l’intérêt principal de cet ouvrage, qui réside dans les mises en lien pertinentes entre analyses anticapitalistes et caractéristiques culturelles du Black Metal. Outre l’introduction, l’ouvrage se découpe en cinq parties qui explorent autant de thématiques pour outiller une réflexion de lutte politique : la distorsion, la décomposition, le secret, la froideur et l’hérésie. Chaque thématique est l’occasion pour l’auteur de faire des apports de concepts théoriques empruntés à des philosophes, penseur·euses politiques et sociologues tels que la psychopolitique de Byung-Chul Han, l’actionnisme de Theodor Adorno, la perspective fasciste de la décomposition de Julius Evola, la pensée de l’abject de Julia Kristeva, la cybernétique, divers aspects de la pensée de Marx et Engels, de Foucault, de Nietzsche, etc. Ils sont mis en regard avec des éléments historiques, musicologiques et culturels issus directement du Black Metal et qui balayent un spectre assez large de sous-genres, allant des usual suspects de la scène norvégienne à Deafheaven, Liturgy, Paysage d’Hiver (Black Metal, Ambiant, Suisse), Al-Namrood (Black/Folk Metal, Arabie Saoudite), Akvan (Folk/Black Metal, Iran), Panopticon…; ainsi que des références au cinéma, à la littérature, à la pop culture et à divers faits d’actualité. Le tout crée un ensemble foisonnant d’idées mises en relation dans un texte finalement assez court (167 pages en format poche), qui donne à goûter à diverses réflexions en suivant le fil rouge de la thématique Black Metal. Le revers de la médaille est sans doute de passer trop rapidement sur certains sujets, de parfois s’éparpiller et de manquer d’approfondir certains aspects qui auraient mérité un traitement plus fin. Pour autant, Peel réussit à synthétiser plusieurs pistes intéressantes à suivre – libres aux lecteur·ices d’approfondir leurs réflexions et d’en tirer leurs conclusions plus pratiques.

Dans le premier chapitre « Distorsion », Peel explore comment la distorsion fait son apparition dans l’histoire de la musique et en quoi elle est centrale dans l’esthétique sonore mais aussi visuelle du Black Metal (logos indéchiffrables, photos basse résolution). La distorsion joue un rôle d’obstacle : elle rend le Black Metal difficile d’accès aux auditeur·ices mais peut aussi attirer du fait même de son étrangeté. À rebours de l’expérience de consommation musicale sans friction proposée par les plateformes de streaming, qui collectent au passage des informations toujours plus fines sur les humeurs et les états d’esprit des auditeur·ices pour les guider et les enfermer vers des playlists préconçues pour elleux, le « mur de distorsion » du Black Metal participe d’une esthétique qui s’érige contre la popularité et la consommation de masse, qui remet de la friction, qui permet de laisser au-dehors certaines logiques internes au capitalisme.



SordideAinsi finit le jour

Non pas que cela soit suffisant : Peel souligne le fait que si le mur laisse certaines choses à l’extérieur, il peut aussi servir à enfermer à l’intérieur. Le risque pour le Black Metal est alors de se figer et de rester coincé dans des schémas répétitifs qui seront, tôt ou tard, absorbés par une logique de consommation capitaliste. Ainsi, la distorsion doit surtout s’entendre comme un moyen de distordre les choses – tel le signal électrique parfait qui est rendu imparfait –, non pas en rentrant dans une logique d’opposition mais en bougeant, en faisant du différent, en étant « nomade » : « La distorsion est compris à tort comme un obstacle, comme un mur solide, mais la distorsion est en fait un processus nomade ; distordre la musique, c’est rompre en permanence avec ce qui est facilement consommable, prendre quelque chose qui est parfaitement désirable et sans friction pour le rendre indésirable, irrégulier et étrange. » (p.39)

Le deuxième chapitre s’attarde sur la question de la « décomposition » et le rapport à la mort que l’on retrouve de diverses manières dans les préoccupations thématiques du Black Metal. En s’intéressant au processus de décomposition, sur l’« après » de la mort, Peel propose de contrer un certain fétichisme de la mort dont il souligne la présence dans divers courants de pensée, de gauche comme de droite. Au lieu de regretter un « âge d’or » passé ou un moment de l’histoire à partir duquel le monde et/ou les luttes auraient commencé à se déliter, il s’agirait au contraire de se concentrer sur la décomposition comme étape de transformation, de création à partir de ce qui est mort, et cela tout particulièrement dans un monde où semble s’enchaîne les catastrophes.

(À noter qu’en français, traduire le terme utilisé par Peel en anglais « decay » par « décomposition » pourrait amener une autre dimension de dé-composition musicale et politique intéressante à creuser)

Peel aborde rapidement le rapport de l’écofascisme avec la pensée de la décomposition. Pour la pensée fasciste de Julius Evola, les sociétés contemporaines ne sont que décomposition depuis un âge d’or révolu : décomposition des valeurs traditionnelles, de la « pureté raciale », etc. Dans la pensée écofasciste, la perte et la décomposition des valeurs traditionnelles sont associées à la décomposition d’un environnement qui serait pur et naturel, « et la solution implicite est une sorte de fascisme biorégionaliste poussé à son extrême, où les gens ne sont pas considérés comme beaucoup plus que des extensions de leur environnement local présumé, et forcés de le rester. » (p.69) . Peel note que la critique anti-moderne de certains groupes de Black Metal incorpore – intentionnellement ou pas – cette vision du monde développée par Evola, même lorsqu’ils ne sont pas affiliés à l’extrême-droite. C’est par exemple le cas de Wolves in the Throne Room. Cité en introduction de l’ouvrage Melancology: Black Metal Theory And Ecology dirigé par Scott Wilson, Wolves in the Throne Room est présenté comme « le groupe le plus associé avec l’impulsion écologique dans le Black Metal, en tout cas depuis une perspective qui n’est pas d’extrême-droite. La perspective de WITTR elle-même est plus anarchiste que de gauche, et elle est liée à une nostalgie pour une existence pré-moderne : « Un désir profond pour un passé perdu qui donne à notre musique son esprit mélancolique… Nous sommes des cadavres vides, sans signification. Regardez notre monde ancien, perdu, où les choses étaient entières et pleines de profondeur. Et maintenant, regardez-nous. Le monde est condamné, et nous sommes perdus. » ». Certaines précautions critiques sont donc à prendre en présence de discours qui postulent un âge d’or perdu et qui tendraient à valoriser un effondrement global du monde dans le but de donner naissance à de nouvelles sociétés.

Dawn Treader (Blackgaze, Royaume-Uni) – Bloom And Decay

Le chapitre trois propose la technique du « secret » comme manière de résister à une forme de capitalisme de la surveillance et d’« art confessionnel » où il faudrait tout révéler, tout dire, tout avouer de ses états d’âme. Peel détaille certains aspects de la culture du pseudonymat et des groupes secrets dans le Black Metal (les « Black Circles »), en donnant plusieurs exemples qui ne sont, à vrai dire, pas toujours très clairs : s’agit-il d’une volonté plus ou moins politique de brouiller les pistes ? de faire circuler des rumeurs et des mensonges pour faire le buzz ? Ou pour d’autres motivations plus personnelles ? L’idée principale est en tout cas de questionner la recherche de la « reconnaissance » – d’un groupe, d’une lutte, d’une identité –, arguant du fait que cette quête peut détourner les énergies des actions concrètes et faire s’exposer à une répression précoce ou à des tentatives de récupération politiques ou commerciales.

Dans le chapitre quatre sur la « froideur », Peel raconte les liens entre la production de chaleur et d’énergie et le développement du capitalisme industriel à travers l’histoire du charbon ; et comment le froid et les corps mis en condition hypothermique – c’est-à-dire en fonctionnement sous-optimal – peuvent inspirer une lutte contre les injonctions à la rentabilité et à la performance au travail. Peel expose comment les endroits où règne le froid sont par nature inhospitaliers pour l’exploitation capitaliste : « Un glacier est en soi inutile et non rentable. La froideur du Black Metal peut être comprise comme un glacier musical, un obstacle aux flots sans anicroche du capitalisme. Ou comme une forêt enneigée, un paysage inhospitalier qui est mortel pour les gens et pour le profit de manière similaire. » (p.112) Peel aborde la notion d’(in)action comment moyen pour les travailleur·euses d’injecter du froid dans la logique productive « chaude » du capitalisme : ne rien faire, faire la grève, avoir recours au sabotage et la flemmardise – autant d’(in)actions qui ne fournissent aucune énergie au système de production capitaliste et qui peuvent le stopper.

Wolves In The Throne RoomCrypt of Ancestral Knowledge

Le dernier chapitre de Tonight It’s a World We Bury concerne le sujet ô combien discuté du rapport du Black Metal à la religion, à travers le thème de l’hérésie. Peel y déplie son propos en insistant sur une critique de la religion en tant que système de « production et de reproduction de la domination » (p.125). Après une brève présentation de la critique des religions par Karl Marx, Wilhelm Reich et Friedrich Nietzsche, Peel raconte à l’épisode des incendies et tentatives d’incendie des églises au début des années 1990 en Norvège. Il évoque ensuite les dimensions anti-chrétiennes des paroles et des positions d’un certain nombres de groupes et présente plus en détails deux groupes anti-religieux localisés en Arabie Saoudite (Al-Namrood) et en Iran (Akvan) qui s’attaquent à une autre religion que le christianisme, ici l’islam. Cependant, Peel avoue se désintéresser de la critique du christianisme en arguant du fait que le christianisme est sur le déclin depuis plusieurs siècles. Il propose donc de se détourner de cette cible.

Peel va sans doute ici un peu vite en besogne en évacuant la pertinence d’une critique politique du christianisme. Il s’agit en effet de la religion déclarée par un tiers de la population mondiale (une proportion également valable en France où elle est la première religion déclarée avec 29 % selon l’INSEE). De nombreuses positions politiques réactionnaires sont encore défendues au nom des valeurs de la religion chrétienne : on pourra penser notamment aux attaques récentes menées à la fois en France, en Europe et aux États-Unis contre le droit à l’avortement et contre les droits des personnes trans, au développement des « thérapies de conversion » forcées à destination ds personnes LGBT, ou encore au positionnement pour le moins ambivalent du Vatican sur l’utilisation des préservatifs pour protéger contre la transmission des maladies et infections sexuellement transmissibles. L’ampleur des abus sexuels commis depuis les années 1950 au sein de l’Église catholique en France sur 330 000 mineurs et personnes vulnérables témoigne d’un phénomène systémique, qui résonne directement avec les questions de pédocriminalité et de violences sexuelles dans la société. Mais tout ceci n’apparaît pas dans la réflexion de Peel, qui préfère donc réorienter le potentiel hérétique du Black Metal sur une autre cible et une autre religion : le capital comme nouveau dieu et le capitalisme comme sa religion. Et de s’interroger ensuite sur le potentiel révolutionnaire interne à la religion en analysant deux groupes de Black Metal religieux, Liturgy et Gelassenheit (Raw Black Metal, États-Unis).

Tonight It’s A World We Bury, Black Metal, Red Politics se termine un peu abruptement, sans conclusion générale pour l’ouvrage. Son approche entre philosophie, histoire, musicologie et réflexions politiques a pour principale qualité de chercher à insuffler une réflexion tactique dans l’engagement politique anticapitaliste et en quoi la musique et la culture du Black Metal pourraient y contribuer. Bill Peel explore cinq thématiques bien cernées qu’il est aisé de garder en tête afin de poursuivre la réflexion et de s’en inspirer dans nos propres pratiques. L’ouvrage comporte plusieurs angles morts qui se font parfois sentir lourdement et c’est sans doute la critique principale que l’on pourrait lui faire. Pour y remédier, ce sont donc d’autres apports et d’autres sources qu’il faudra aller chercher, collecter ou créer nous-même pour poursuivre la réflexion.

Voici une petite liste de ressources suggérées pour prolonger la lecture (seulement disponibles en anglais) :

Black Metal Rainbows, coordonné par Daniel Lukes & Stanimir Panayotov, PM Press, 2023 (livre)

Black Metal for the Oppressed, Shane Burley, Protean Magazine, 2019 (article)

Making Burzum a Contested Space, Hate Meditation, 2022 (article)

Stryga zine, Black Metal & Art (zine)

Self-Producing Metal Music, Women Doing It All in One-Woman Black Metal Bands, Wohosheni, Dysphonic Press, 2023 (zine)

Rock in a Hard Place, Music and Mayhem in the Middle East, Orlando Crowfort, Bloomsbury Publishing, 2017 (livre)

Listes de groupes de Black Metal anti-NSBM :

Reddit /rabm

200 artistes de Black Metal de Gauche (1993-2022), Sens critique

Curating Resistance: A Guilt-Free Guide to Black Metal, Astral Noize

Curating Resistance: The Ultimate List of Anti-Fascist Bands, Astral Noize

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2024-12-18 00:00:00

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Tonight It’s A World We Bury, Black Metal, Red Politics

Bill Peel, Repeater Books, 2023

L’été dernier, alors que je sondais les rayons de Housmans, petite librairie londonienne bien connue des milieux radicaux (un indice pour vous, chez vous, quant à la teneur politique de la présente chronique…), je suis tombée sur un livre intitulé Tonight It’s A World We Bury, Black Metal, Red Politics de Bill Peel. Dans mon cerveau, j’enregistre « metal, rouge, noir », aussi je n’hésite pas une seconde et ajoute illico presto l’ouvrage à ma pile d’acquisition. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser, Tonight It’s A World We Bury n’est pas un livre sur le Red Anarchist Black Metal (RABM). Il ne s’agit pas non plus, malgré ce qu’annonce la quatrième de couverture, d’une « réécriture de l’histoire et des politiques du Black Metal ». L’auteur propose plutôt d’investir le Black Metal comme source d’inspiration pour des pratiques militantes anticapitalistes. Peel s’engage ainsi dans un exercice de pensée où il met en lien, éclaire et réutilise certaines caractéristiques propres au Black Metal, à sa musique et à sa culture pour y puiser des idées à réinvestir dans les milieux politiques de gauche.



À rebours de l’image et des réalités qui associent fréquemment le Black Metal avec au mieux des positions apolitiques ou nihilistes, au pire d’extrême-droite, Bill Peel propose ici d’occuper le Black Metal comme un terrain d’inspiration pour une lutte de gauche, voire anarchiste. Car pour lui, malgré une réputation qui associe le style de musique à certaines figures réactionnaires et au Nationalist Socialist Black Metal (NSBM), la réalité des pratiques politiques dans le Black Metal se résumerait plutôt à deux tendances majoritaires.

La première tendance est marquée par ce qu’il nomme une « anti-réflexivité réflexive », une attitude caractérisée par le fait de savoir qu’il faudrait que je me penche sur un sujet… mais je décide de ne pas le faire C’est en somme une sorte de politique de l’autruche et de la dissonance cognitive. Peel donne plusieurs exemples de cette ignorance délibérée et sélective, quitte à se mélanger un peu les pinceaux au passage. Peel décrit ainsi comment le groupe australien Spear of Longinus a recours à de multiples références et visuels néo-nazis et fait partie du roster d’un label qui accueille de nombreux groupes de NSBM. Pourtant, officiellement, le groupe clame ne pas s’intéresser à la politique. La posture d’ignorance délibérée n’est pas valable de la même manière selon qu’elle est pratiquée par les amateur·ices d’un groupe ou par un groupe qui a recours à des signes et des pratiques politiques mais qui se revendique apolitique. On peut comprendre en quoi une posture d’« anti-réflexivité réflexive » de la part des fans de Spear of Longinus pourrait se concevoir (dans une tentative de séparer le nazi de l’artiste). En revanche, Peel parle également d’une « ignorance voulue » dans le cas du groupe Spear of Longinus lui-même : « dans ce cas-ci, les raisons pour une telle ignorance sont parfaitement évidentes : être révélé comme un groupe ouvertement nazi n’est pas désirable et mettrait en danger les collaborations et les profits futurs » (p.4). Or cette attitude du groupe n’a évidemment rien à voir avec une posture « d’ignorance voulue », il s’agit d’une technique de déni, de réorientation du discours et d’obfuscation qu’il convient de repérer et de déconstruire.

Nigh (Black Metal / Sludge, États-Unis) – Hegemonies

La deuxième tendance politique majoritairement présente pour Peel dans le monde du Black Metal est celle qui consiste à vouloir la destruction du monde. C’est cette idée qui est exprimée dans le titre du livre, extrait du morceau “Phosphene” de Deathspell Omega « Rejoice, for tonight it is a world that we bury! » (« Réjouissez-vous, car ce soir c’est un monde que nous enterrons !»). Peel propose de se saisir de cette tendance en partant du principe qu’elle n’est justement pas marquée politiquement : vouloir la destruction du monde, ou en tout d’un monde, peut être aussi bien de gauche que de droite ou du centre. Le Black Metal, note Peel, est un milieu qui a également tendance à haïr toute forme de discours politique. C’est pourquoi, paradoxalement, cette haine du monde contenue dans le Black Metal est disponible pour être dirigée dans n’importe quelle direction. Le Black Metal serait ainsi une « arme abstraite », intrinsèquement apolitique, qu’il suffirait de pointer dans la direction que l’on souhaite. La droite réactionnaire l’a fait, la gauche peut donc tout aussi bien s’en emparer : « Le Black Metal, et son hostilité incomparable envers le monde tel que nous le connaissons, fonctionne déjà comme une arme. Tout ce dont il a besoin est une cible claire telle que le capitalisme pour démontrer sa pleine puissance. ». Et Peel de préciser qu’il ne s’agit pas pour la gauche de se « réapproprier » le Black Metal pour la simple et bonne raison qu’il n’a jamais était de gauche pour commencer : il s’agit plutôt d’aller étudier les « résonances » (p.9) que le Black Metal peut avoir avec la gauche et le socialisme, de voir ce que la lutte des classes peut apporter au Black Metal et inversement.

On peut déjà voir pointer dans ce programme certains angles morts du texte de Peel. Tout d’abord, comparer le Black Metal à une « arme abstraite » dirigeable contre n’importe quelle cible revient à en faire une sorte d’outil intrinsèquement neutre. Or, tout comme pour la production des outils technologiques, ce type de discours fait abstraction des conditions de productions sociales et politiques de la musique. Ainsi, le Black Metal s’est construit et développé dans un certain contexte social et politique, à partir de et en réaction à certains styles musicaux, par le moyen de certains outils technologiques de production et de diffusion de la musique, en produisant certains visuels, en écrivant certaines paroles, en se diffusant dans certains publics, etc. Et puis ce qui définit le Black Metal même, ce rapport au monde par la haine et la destruction, a aussi une histoire et des implications sociales et politiques.

Contra OdiumCompilation par Satan Not Hating

Tout ceci n’empêche pas le Black Metal d’être approprié et investi dans d’autres contextes, par d’autres musicien·nes et ainsi d’avoir d’autres visées. Avec le développement de la scène antifasciste (RADM), le Black Metal est devenu un espace disputé par des groupes de mouvances politiques contrastées. Pour autant, lorsque Peel choisit de décrire le Black Metal comme une « arme » de destruction à pointer sur une cible, cela convoque un certain imaginaire militarisé, offensif, en adéquation avec une certaine culture de l’agression qui résonne avec le Black Metal, et qui peut colorer le contenu des propositions que contient l’ouvrage. Pour donner sommairement un exemple, il ne s’agit pas dans ce livre de proposer plus de douceur, de soin et de construction communautaire chaleureuse contre la violence et la déshumanisation du système de domination capitaliste. Revendiquer le Black Metal comme « arme » et comme un rapport de « haine » est donc politiquement situé et ceci mérite d’être explicité afin d’en saisir les atouts mais aussi les limites. Peel produit un discours qui prend en compte les effets du capitalisme d’un point de vue de la lutte économique ainsi qu’écologique, mais qui n’aborde finalement que très peu ses dimensions patriarcales et coloniales. Notons cependant qu’il prend le temps de souligner, à plusieurs reprises, des points de vue occidentalo-centrés et que plusieurs groupes qu’il mobilise de manière plus détaillée incluent des musiciennes et des artistes racisé·es. Peel propose de nombreuses références musicales, visuelles et historiques issues de la scène Black Metal. Certains aspects sont mentionnés, rapidement, d’autres restent en filigrane. Globalement, et c’est l’une des limites de cet ouvrage, Peel passe à côté d’un certain nombre d’occasions d’expliciter ou d’approfondir plus finement certaines dimensions des concepts et des exemples qu’il explore.

Que ces considérations ne viennent cependant pas gâcher l’intérêt principal de cet ouvrage, qui réside dans les mises en lien pertinentes entre analyses anticapitalistes et caractéristiques culturelles du Black Metal. Outre l’introduction, l’ouvrage se découpe en cinq parties qui explorent autant de thématiques pour outiller une réflexion de lutte politique : la distorsion, la décomposition, le secret, la froideur et l’hérésie. Chaque thématique est l’occasion pour l’auteur de faire des apports de concepts théoriques empruntés à des philosophes, penseur·euses politiques et sociologues tels que la psychopolitique de Byung-Chul Han, l’actionnisme de Theodor Adorno, la perspective fasciste de la décomposition de Julius Evola, la pensée de l’abject de Julia Kristeva, la cybernétique, divers aspects de la pensée de Marx et Engels, de Foucault, de Nietzsche, etc. Ils sont mis en regard avec des éléments historiques, musicologiques et culturels issus directement du Black Metal et qui balayent un spectre assez large de sous-genres, allant des usual suspects de la scène norvégienne à Deafheaven, Liturgy, Paysage d’Hiver (Black Metal, Ambiant, Suisse), Al-Namrood (Black/Folk Metal, Arabie Saoudite), Akvan (Folk/Black Metal, Iran), Panopticon…; ainsi que des références au cinéma, à la littérature, à la pop culture et à divers faits d’actualité. Le tout crée un ensemble foisonnant d’idées mises en relation dans un texte finalement assez court (167 pages en format poche), qui donne à goûter à diverses réflexions en suivant le fil rouge de la thématique Black Metal. Le revers de la médaille est sans doute de passer trop rapidement sur certains sujets, de parfois s’éparpiller et de manquer d’approfondir certains aspects qui auraient mérité un traitement plus fin. Pour autant, Peel réussit à synthétiser plusieurs pistes intéressantes à suivre – libres aux lecteur·ices d’approfondir leurs réflexions et d’en tirer leurs conclusions plus pratiques.

Dans le premier chapitre « Distorsion », Peel explore comment la distorsion fait son apparition dans l’histoire de la musique et en quoi elle est centrale dans l’esthétique sonore mais aussi visuelle du Black Metal (logos indéchiffrables, photos basse résolution). La distorsion joue un rôle d’obstacle : elle rend le Black Metal difficile d’accès aux auditeur·ices mais peut aussi attirer du fait même de son étrangeté. À rebours de l’expérience de consommation musicale sans friction proposée par les plateformes de streaming, qui collectent au passage des informations toujours plus fines sur les humeurs et les états d’esprit des auditeur·ices pour les guider et les enfermer vers des playlists préconçues pour elleux, le « mur de distorsion » du Black Metal participe d’une esthétique qui s’érige contre la popularité et la consommation de masse, qui remet de la friction, qui permet de laisser au-dehors certaines logiques internes au capitalisme.



SordideAinsi finit le jour

Non pas que cela soit suffisant : Peel souligne le fait que si le mur laisse certaines choses à l’extérieur, il peut aussi servir à enfermer à l’intérieur. Le risque pour le Black Metal est alors de se figer et de rester coincé dans des schémas répétitifs qui seront, tôt ou tard, absorbés par une logique de consommation capitaliste. Ainsi, la distorsion doit surtout s’entendre comme un moyen de distordre les choses – tel le signal électrique parfait qui est rendu imparfait –, non pas en rentrant dans une logique d’opposition mais en bougeant, en faisant du différent, en étant « nomade » : « La distorsion est compris à tort comme un obstacle, comme un mur solide, mais la distorsion est en fait un processus nomade ; distordre la musique, c’est rompre en permanence avec ce qui est facilement consommable, prendre quelque chose qui est parfaitement désirable et sans friction pour le rendre indésirable, irrégulier et étrange. » (p.39)

Le deuxième chapitre s’attarde sur la question de la « décomposition » et le rapport à la mort que l’on retrouve de diverses manières dans les préoccupations thématiques du Black Metal. En s’intéressant au processus de décomposition, sur l’« après » de la mort, Peel propose de contrer un certain fétichisme de la mort dont il souligne la présence dans divers courants de pensée, de gauche comme de droite. Au lieu de regretter un « âge d’or » passé ou un moment de l’histoire à partir duquel le monde et/ou les luttes auraient commencé à se déliter, il s’agirait au contraire de se concentrer sur la décomposition comme étape de transformation, de création à partir de ce qui est mort, et cela tout particulièrement dans un monde où semble s’enchaîne les catastrophes.

(À noter qu’en français, traduire le terme utilisé par Peel en anglais « decay » par « décomposition » pourrait amener une autre dimension de dé-composition musicale et politique intéressante à creuser)

Peel aborde rapidement le rapport de l’écofascisme avec la pensée de la décomposition. Pour la pensée fasciste de Julius Evola, les sociétés contemporaines ne sont que décomposition depuis un âge d’or révolu : décomposition des valeurs traditionnelles, de la « pureté raciale », etc. Dans la pensée écofasciste, la perte et la décomposition des valeurs traditionnelles sont associées à la décomposition d’un environnement qui serait pur et naturel, « et la solution implicite est une sorte de fascisme biorégionaliste poussé à son extrême, où les gens ne sont pas considérés comme beaucoup plus que des extensions de leur environnement local présumé, et forcés de le rester. » (p.69) . Peel note que la critique anti-moderne de certains groupes de Black Metal incorpore – intentionnellement ou pas – cette vision du monde développée par Evola, même lorsqu’ils ne sont pas affiliés à l’extrême-droite. C’est par exemple le cas de Wolves in the Throne Room. Cité en introduction de l’ouvrage Melancology: Black Metal Theory And Ecology dirigé par Scott Wilson, Wolves in the Throne Room est présenté comme « le groupe le plus associé avec l’impulsion écologique dans le Black Metal, en tout cas depuis une perspective qui n’est pas d’extrême-droite. La perspective de WITTR elle-même est plus anarchiste que de gauche, et elle est liée à une nostalgie pour une existence pré-moderne : « Un désir profond pour un passé perdu qui donne à notre musique son esprit mélancolique… Nous sommes des cadavres vides, sans signification. Regardez notre monde ancien, perdu, où les choses étaient entières et pleines de profondeur. Et maintenant, regardez-nous. Le monde est condamné, et nous sommes perdus. » ». Certaines précautions critiques sont donc à prendre en présence de discours qui postulent un âge d’or perdu et qui tendraient à valoriser un effondrement global du monde dans le but de donner naissance à de nouvelles sociétés.

Dawn Treader (Blackgaze, Royaume-Uni) – Bloom And Decay

Le chapitre trois propose la technique du « secret » comme manière de résister à une forme de capitalisme de la surveillance et d’« art confessionnel » où il faudrait tout révéler, tout dire, tout avouer de ses états d’âme. Peel détaille certains aspects de la culture du pseudonymat et des groupes secrets dans le Black Metal (les « Black Circles »), en donnant plusieurs exemples qui ne sont, à vrai dire, pas toujours très clairs : s’agit-il d’une volonté plus ou moins politique de brouiller les pistes ? de faire circuler des rumeurs et des mensonges pour faire le buzz ? Ou pour d’autres motivations plus personnelles ? L’idée principale est en tout cas de questionner la recherche de la « reconnaissance » – d’un groupe, d’une lutte, d’une identité –, arguant du fait que cette quête peut détourner les énergies des actions concrètes et faire s’exposer à une répression précoce ou à des tentatives de récupération politiques ou commerciales.

Dans le chapitre quatre sur la « froideur », Peel raconte les liens entre la production de chaleur et d’énergie et le développement du capitalisme industriel à travers l’histoire du charbon ; et comment le froid et les corps mis en condition hypothermique – c’est-à-dire en fonctionnement sous-optimal – peuvent inspirer une lutte contre les injonctions à la rentabilité et à la performance au travail. Peel expose comment les endroits où règne le froid sont par nature inhospitaliers pour l’exploitation capitaliste : « Un glacier est en soi inutile et non rentable. La froideur du Black Metal peut être comprise comme un glacier musical, un obstacle aux flots sans anicroche du capitalisme. Ou comme une forêt enneigée, un paysage inhospitalier qui est mortel pour les gens et pour le profit de manière similaire. » (p.112) Peel aborde la notion d’(in)action comment moyen pour les travailleur·euses d’injecter du froid dans la logique productive « chaude » du capitalisme : ne rien faire, faire la grève, avoir recours au sabotage et la flemmardise – autant d’(in)actions qui ne fournissent aucune énergie au système de production capitaliste et qui peuvent le stopper.

Wolves In The Throne RoomCrypt of Ancestral Knowledge

Le dernier chapitre de Tonight It’s a World We Bury concerne le sujet ô combien discuté du rapport du Black Metal à la religion, à travers le thème de l’hérésie. Peel y déplie son propos en insistant sur une critique de la religion en tant que système de « production et de reproduction de la domination » (p.125). Après une brève présentation de la critique des religions par Karl Marx, Wilhelm Reich et Friedrich Nietzsche, Peel raconte à l’épisode des incendies et tentatives d’incendie des églises au début des années 1990 en Norvège. Il évoque ensuite les dimensions anti-chrétiennes des paroles et des positions d’un certain nombres de groupes et présente plus en détails deux groupes anti-religieux localisés en Arabie Saoudite (Al-Namrood) et en Iran (Akvan) qui s’attaquent à une autre religion que le christianisme, ici l’islam. Cependant, Peel avoue se désintéresser de la critique du christianisme en arguant du fait que le christianisme est sur le déclin depuis plusieurs siècles. Il propose donc de se détourner de cette cible.

Peel va sans doute ici un peu vite en besogne en évacuant la pertinence d’une critique politique du christianisme. Il s’agit en effet de la religion déclarée par un tiers de la population mondiale (une proportion également valable en France où elle est la première religion déclarée avec 29 % selon l’INSEE). De nombreuses positions politiques réactionnaires sont encore défendues au nom des valeurs de la religion chrétienne : on pourra penser notamment aux attaques récentes menées à la fois en France, en Europe et aux États-Unis contre le droit à l’avortement et contre les droits des personnes trans, au développement des « thérapies de conversion » forcées à destination ds personnes LGBT, ou encore au positionnement pour le moins ambivalent du Vatican sur l’utilisation des préservatifs pour protéger contre la transmission des maladies et infections sexuellement transmissibles. L’ampleur des abus sexuels commis depuis les années 1950 au sein de l’Église catholique en France sur 330 000 mineurs et personnes vulnérables témoigne d’un phénomène systémique, qui résonne directement avec les questions de pédocriminalité et de violences sexuelles dans la société. Mais tout ceci n’apparaît pas dans la réflexion de Peel, qui préfère donc réorienter le potentiel hérétique du Black Metal sur une autre cible et une autre religion : le capital comme nouveau dieu et le capitalisme comme sa religion. Et de s’interroger ensuite sur le potentiel révolutionnaire interne à la religion en analysant deux groupes de Black Metal religieux, Liturgy et Gelassenheit (Raw Black Metal, États-Unis).

Tonight It’s A World We Bury, Black Metal, Red Politics se termine un peu abruptement, sans conclusion générale pour l’ouvrage. Son approche entre philosophie, histoire, musicologie et réflexions politiques a pour principale qualité de chercher à insuffler une réflexion tactique dans l’engagement politique anticapitaliste et en quoi la musique et la culture du Black Metal pourraient y contribuer. Bill Peel explore cinq thématiques bien cernées qu’il est aisé de garder en tête afin de poursuivre la réflexion et de s’en inspirer dans nos propres pratiques. L’ouvrage comporte plusieurs angles morts qui se font parfois sentir lourdement et c’est sans doute la critique principale que l’on pourrait lui faire. Pour y remédier, ce sont donc d’autres apports et d’autres sources qu’il faudra aller chercher, collecter ou créer nous-même pour poursuivre la réflexion.

Voici une petite liste de ressources suggérées pour prolonger la lecture (seulement disponibles en anglais) :

Black Metal Rainbows, coordonné par Daniel Lukes & Stanimir Panayotov, PM Press, 2023 (livre)

Black Metal for the Oppressed, Shane Burley, Protean Magazine, 2019 (article)

Making Burzum a Contested Space, Hate Meditation, 2022 (article)

Stryga zine, Black Metal & Art (zine)

Self-Producing Metal Music, Women Doing It All in One-Woman Black Metal Bands, Wohosheni, Dysphonic Press, 2023 (zine)

Rock in a Hard Place, Music and Mayhem in the Middle East, Orlando Crowfort, Bloomsbury Publishing, 2017 (livre)

Listes de groupes de Black Metal anti-NSBM :

Reddit /rabm

200 artistes de Black Metal de Gauche (1993-2022), Sens critique

Curating Resistance: A Guilt-Free Guide to Black Metal, Astral Noize

Curating Resistance: The Ultimate List of Anti-Fascist Bands, Astral Noize

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